ARTIKLES WILDZINE

**Admin** Admin Messages : 113 Date d'inscription : 28/05/2022

THERAPY

Ca fait déjà deux semaines que je reste planté devant la page blanche comme mes nuits. Mon rédac chef me tient à 15 bars de pression en me menaçant de me virer si je lui file pas un papelard qui tienne la route. Tenir la route, ça a jamais été mon fort, je suis plutôt du genre dérapage incontrôlé. Et depuis qu’ils ont imposé le contrôle technique pour les deux roues depuis dix ans, les bécanes sont aussi bandantes que les make love de la Nébuleuse Sombre. Bourrées de plastique et incapables de pousser le moindre cri de jouissance même dans les tours. La plupart des bikers ce sont tournés vers des motos électriques pour pouvoir continuer à rouler sans être emmerdé à chaque coin de rue par les vigicops. J’ai bien essayé de trouver de l’enthousiasme en essayant une de ces batteries roulantes mais même après avoir bu un grog au Super, aucune encre n’éjacule de mon stylo bic.

Demain je lui filerai une page immaculée et malgré la sympathie qu’il a pour moi et mes t-shirts Harley Davidson des années 70, il me demandera de quitter le journal.
Je jette une dernière fois un optique sur ma messagerie et je tombe sur un courrier de Tof Debaskee, un ancien plombier, du style Robert De Niro dans Brazil . Un déjanté au sens propre. Le genre de bonhomme qui te fait un guidon avec un tuyau de gaz ou une selle avec du tube de chaudière qui l’a récupéré sur un chantier. Je l’ai rencontré à l’époque où je vivais à Marseille et que j’avais encore des cheveux et des rouflaquettes me mangeant le trois quart des joues. Il roulait en 103crx modifié chop, avec un second réservoir sur la bande de renfort pour pouvoir aller jusqu’au circuit du Castelet sans s’arrêter à la station d’Aubagne.

Le courrier pèse quelques kilo octets dans ma boite mais faut dire que ça fait un moment qu’on s’est pas vu ! THERAPY, c’est le nom qu’il lui a donné. Ca m’intrigue. Je l’ouvre et je commence à lire un descriptif exhaustif de la construction d’une bécane comme on en voit plus de ce côté du globe. Un truc sale comme on aime, qui bouffe de l’huile et du carburant pétrole et qui fait trembler les amoureux de la vie sans décibels. J’ai l’impression de me retrouver dans une salle d’opération : il me détaille la construction du châssis avec du tuyau acier de chauffage qu’il a cintré a la mingori ( cintreuse hydraulique ) , la modification de l’orgue d’échappement Supertrap à base d’un siphon à chantilly . Il me décrit le support en barre de raccordement électrique en cuivre d armoire industrielle et le support de phare en ciseaux. Sans parler des pièces jointes qui m’envoient en pleine poire les photos d’une créature métallo en mutation, malmenée par un chirurgien chamaniste sous Peyotl.
Je commence à sentir des picotements dans les joues et au bout des doigts ! La malédiction de la page blanche s’évapore. J’arrache le capuchon de mon bic avec les dents et je me lance dans une écriture automatique comme possédé par un esprit lors d’une séance de spiritisme. Je me sers un quatrième whisky de chez la veuve Goudoulin en guise de pause et je repars de plus belle.

Je re regarde les photos et je n’arrive pas à imaginer que cette bestiole a pu jadis être un 650 DR Djebel, tout du moins sur les premières images , car le Tof a tellement roulé avec ce piège qu’il a du refaire une greffe avec des pisto poumons de 800 DR , étant obligé de modifier l’exosquelette avec des outils de fortunes.
Et en parlant de fortune, cette chignole n’a pas couté plus cher qu’un chargeur de moto électrique.
Ce type me fait penser aux gamins qui vivent au pied des Décharges Unies dans le livre Les Enfants de la Skool, bravant les interdictions pour aller récupérer des pièces détachées pour fabriquer des engins improbables.

Je me sers un cinquième Goudoulin pour l’énième lecture. Je prends soin d’intégrer les photos dans l’article et j’envoi mon papelard au rédac’chef . Le whisky me fait dérailler et je l’imagine à cette heure ci en train de dormir avec son casque immersif, au côté de sa nouvelle pépé plus siliconée qu’un Tupperware, branchée sur le secteur avec un câble entre les cuisses qui la fera vibrer lorsqu’elle sera à pleine charge.
Ma pépé à moi, ça fait 30 ans que je suis avec. Je l’adore parce que c’est pas une poupée en plastique. C’est une vraie machine, à l’ancienne ! De l’huile et de la graisse pour que ça tourne rond ! Elle ronronne souvent, ronfle parfois. Elle envoie du gaz ma beauté, oh oui, elle envoie du gaz !
Je bois la dernière gorgée de ce breuvage délicieusement tourbé avant d’aller me blottir contre ma beauté qui a jeté son carénage sur la commode et qui dort version naked au dessus des draps, offrant à mes optiques en plein phare un spectacle extraordinaire sur sa selle en cuir pleine fleur épousant à merveille un pot inox en échappement libre ! Elle n’aurait aucune chance au contrôle technique.
Je ne suis décidemment pas fait pour les bécanes électriques.