LA KOMMUNAUTE DE L'EKROU

Boulon Sachet habitait dans le petit village d’An Orient. Un havre de paix où il faisait bon vivre et où la veille ressemblait au lendemain. Personne ne s’en plaignait .
La plupart des habitants n’étaient jamais allé au delà d’un jet de pierre après la dernière maison, celle du fameux Boulon.
De toute façon, lui , avait voyagé pour eux tous et même pour leur descendance tant il avait parcouru le monde de long en large. Cela n’avait pas fait de lui un meilleur voisin, bien au contraire. Depuis le retour de ses pérégrinations, tout le monde le craignait et disait qu’il avait changé. Et la machine à deux roues qu’il avait depuis dans sa grange, n’avait rien fait pour refroidir les gorges chaudes. Il en était revenu à son guidon, les flancs alourdis par d’énormes sacoches contenant des choses qu’il avait précautionneusement caché.
A la grande surprise de ses congénères, il avait décidé cette année de fêter son anniversaire . Et en grande pompe qui plus est! Il avait promis un immense banquet, des danseurs et des jongleurs venus de terres lointaines, et surtout la présence de son vieil ami Gabdalf Le Gris qui viendrait bien entendu avec ses légendaires pétards !

Boulon était assis devant sa maisonnée, en train de tirer sur sa pipe bourrée de tabac de première qualité. Il s’était promis d’arrêter de fumer , mais pas avant que sa blague soit vide. Il n’aimait pas gâcher.



illustration: Mino (Mino Art on Facebook)


Il entendit un grondement comme celui du tonnerre et aperçu de la fumée provenant du sentier. Son ami n’arriverait décidément pas à se séparer de son antique monture. Le Scintillant allait céder sa place à Scintilune et la température commençait à chuter. Il vit sortir deux adolescents de chez eux malgré le rappel à l’ordre de leurs parents. Eux aussi avaient reconnus la signature sonore du cheval de fonte du magicien.
Gabdalf coupa le moteur une fois devant le portail mais la fumée se propagea jusqu’aux narines de Boulon.

-Kof!kof!kof! Ne changerez vous donc jamais de moyen de transport pour un autre moins polluant?
-La fumée de Rycine n’a jamais tuée personne et vous le savez aussi bien que moi. Ce sont peut-être vos poumons qui sont trop fragiles de rester dans ce petit corps atrophié de ne se déplacer qu’entre ici et votre cuisine ou votre chambre. Un peu d’exercice vous ferait le plus grand bien! Le magicien avait vieilli et sa barbe un peu plus blanchie mais sa peau avait un teint hâlé que Sachet ne lui connaissait pas:
-Où donc êtes vous aller faire brunir votre épiderme mon vieil ami?
-Disons que j’ai décidé de quitter les Terres du milieu pour d’autres horizons mais nous ne sommes pas ici pour parler de moi mais de vous...Et de votre anniversaire. Mais avant tout , j'aurai besoin de vous entretenir sur une petite chose.

Elle se dirigea vers lui et tenta de passer par-dessus le comptoir en s’agrippant à une des tireuses à bières. Elle essayait désespérément de lancer sa jambe par-dessus le zinc. Boulon en profita pour prendre la fuite tête baissée, mais il fut stoppé net par le ventre de Gabdalf :
-Où fuyez-vous mon ami ?
-Je vous expliquerai plus tard ! Nous devons quitter cet endroit.
-Pas avant que je vous présente les deux premiers membres de notre Kommunauté.
La curiosité de Boulon lui fit oublier sa crainte de passer  une nuit avec Druinda. De toute façon, à ce qu’il  voyait, elle avait laissé tomber sa tentative d’abordage et était repartie aux manettes des tireuses.
Derrière le magicien se tenait deux pilotes habillés d’une façon qu’il n’avait jamais vu. Au lieu d’avoir des pantalons rembourrés, ils portaient une sorte de jupe plissée de tweed à carreaux sur le devant de laquelle reposait une petite sacoche accrochée à une épaisse ceinture. Ils chaussaient de lourds godillots ainsi que d’épaisses chaussettes leur montant sous les genoux. Pour le haut du corps, leur accoutrement était plus classique, avec une épaisse  chemise de couleur blanche sous une lourde veste de combi course  rapiécées de toute part, signe de nombreux combats.
Sachet n’arrivait pas à décrocher son regard de leurs guiboles poilues. Il se retenait de rire en voyant ces deux solides gaillards avec une jupe qu’aurait pu porter sa grand-mère. Ils n’avaient pourtant rien d’efféminé dans leurs manières. Les deux portaient une longue barbe recouverte de mousse houblonnée et n’arrêtaient pas d’interpeler chaque make love passant à leur proximité.
Gabdalf qui les connaissait déjà, les invita à se présenter. Le plus grand des deux prit la parole
-Vous devez être ce fameux Boulon Sachet ? Il avait un accent faussement british.
-En effet.
-Vous me voyez ravi de faire votre connaissance. Je suis Sir Christian et voici Sir Jay.
-Sœurs ? Vous voulez dire…Frères ?
-Nous sommes Ecossais, voyons !
-Ah ! Ok ! En Ecosse les femmes portent la barbe, donc ! Dit Boulon très naturellement.
Les deux hommes, comme piqués au vif, dégainèrent leurs armes. Une épée à deux mains pour le plus grand et une solide hache pour le plus petit.
- Comment osez-vous manquer de respect au Klan des Kiltmister dont nous sommes les deux seuls représentants ! Nous devons absolument laver cet affront et sur le champ !
Le silence s’était fait dans l’auberge du Panhead Fringuant et tout le monde avait les yeux rivés sur les quatre hommes. Gabdalf intervint.
-Du calme Sirs, Mr Sachet n’avait aucunement l’intention de manquer de respect à votre Klan. Il ne connait tout simplement pas vos coutumes. N’est-ce pas mon ami  Boulon.
-Mais oui ! Je suis désolé. Si chez vous les sœurs sont des hommes et portent des jupes, ça ne me pose aucun problème.
-Ce sont des Tartans, abruti. Dit le plus petit avec un accent encore plus poussif.



ILLUSTRATION: MINO ART on FACEBOOK

Le magicien interrompit la discussion :
-Bien. A présent que tout le monde se connait, je vous propose de trouver un endroit en sécurité pour passer la nuit
-Ils ont des chambres ici.
-Non, nous devons quitter cet endroit, il m’a semblé voir des espions à la solde de notre ennemi. Ce n’est pas encore le moment de sortir les armes. Demain sera une longue journée et nous devons être en forme.
-Du calme ! Une minute ! Gabdalf, vous le savez, notre klan a beaucoup de respect pour vous et nous portons la plus grande attention aux conseils que vous nous avez toujours donnés. Mais lorsque vous nous avez parlé de cette…Mission il y a quelques mois, vous ne nous avez pas dit combien de temps ça aller durer et…Sir Christian parut gêner de continuer sa phrase. Et surtout combien d’argent vous alliez nous donner.
-Ah ! ça y est. Voilà le côté Ecossais qui ressort. L’argent, toujours l’argent.
-Vous pouvez nous donner de l’or si vous préférez, lança Sir Jay.
-Notre mission va bien au-delà de vos bourses ! Regardez donc plus haut ! La voix du magicien semblait amplifiée, glaçant le sang de ses interlocuteurs.
Il reprit :
-Je sais que je vous en demande beaucoup et que vos vies seront surement en danger, mais de la destruction de cet écrou dépend l’avenir de notre monde.
-Et si on y reste, qui s’occupera du Klan des Kiltmister.
-Vous en êtes les deux seuls membres.
-Certes. Dit Sir Jay.
Boulon qui n’avait rien dit jusqu’à présent, s’adressa au magicien :
- Que risquons-nous ? Et qui est notre ennemi ? Qui craignez-vous mon ami ?
Gab regarda autour de lui avant de répondre :
-Nous en saurons plus après avoir vu l’Armanouch.






Les quatre hommes chevauchèrent leurs montures pour aller à la sortie du village, dans une ancienne station service abandonnée que les Sirs avaient repéré en arrivant. La pluie s’était calmée mais ils étaient heureux de pouvoir dormir à l’abri. Il ne restait pas une seule goutte de Rycine dans les cuves mais leurs réservoirs avaient encore de quoi faire quelques centaines d’espace Grips.
Boulon avait pris l’habitude, au cours de ses périples, de noter sur une carte les emplacements des cuves enterrées de contrebande. Il avait eu des mauvaises surprises parfois, en faisant le plein d’un carburant piégé par les embuskeurs, mettant en panne les montures. Plusieurs bikers s’étaient ainsi fait dépouiller à quelques dizaines de mètre de ladite cuve. Boulon s’était procuré un additif de Réglissol auprès d’un fabriquant dans un village de Statique. Avec deux centilitres dans le réservoir, votre machine pouvait même fonctionner avec du cognac arménien. Il ne connaissait pas la consommation des machines des deux faux écossais mais il connaissait bien celle de l’ early shovel du magicien. Ridicule ! Elle ne consommait pratiquement rien. Il s’en était aperçu lors des Kroutes trip qu’il avait fait avec lui. Il l’avait questionné à ce sujet mais l’ancien était toujours resté secret là-dessus, à part une noktaë, alors qu’ils avaient abusé du tabakannabis. Il avait fait mention du Rycine Pourpre, un carburant étrange qui donnait aux montures d’étranges pouvoirs. Mais lorsqu’il lui en avait reparlé le lendemain, Gabdalf avait mis ça sur le compte d’un délire psychotrope.

Sur la devanture de l’ancienne station avait été peint un étrange animal à six pattes ressemblant à un chien crachant du feu. Boulon avait déjà vu ce blason et il l’avait toujours intrigué, n’osant jamais demander à son ami magicien quel était cet étrange canidé. Sir Jay lui permit d’obtenir la réponse qu’il avait tant attendu :
-Est-ce l’écusson d’un Klan que nous ne connaitrions pas, sir Christian ?
-C’est  Agipas, le chien d’Hephaïstos, répondit Gab.
-Pourquoi est ce qu’il a six pattes ? demanda sir Jay
-Surement pour courir plus vite , répondit son frère en riant.
-L’histoire raconte qu’Agipas est né infirme et qu’Héphaïstos lui aurait fabriqué des membres en un acier mystérieux, lui permettant de courir sur les braises.
-L’histoire ? Vous voulez dire la légende, mon ami ? lança Boulon
-Où nous allons mon cher Sachet, vous vous rendrez compte que certaines légendes n’en sont pas.
Je veux bien vous en raconter un peu plus mais nous devons d’abord ouvrir ce rideau de fer derrière lequel il doit y avoir l’ancien atelier. Nous sommes en bordure du nomad’s land et c’est un endroit fréquenté par les embuskeurs et autres ferrailleurs. Nos montures ne doivent pas dormir dehors.
Sitôt dit, le solide Sir Christian glissa ses puissantes mains sous le rideau et réussit à le soulever suffisamment pour passer les quatre créatures métallo. Le rideau s’affaissa lourdement lorsque le colosse le lâcha.
A l’intérieur, l’atelier semblait avoir été utilisé quelques instants auparavant. Sur l’établi trainait des outils, mais aussi un mug en fer émaillé dans lequel un liquide noir comme du pétrole, fumait encore. Il y avait des chiffons maculés, une burette et une multitude de douilles éparpillées. Aux murs étaient scotché  de vieux posters publicitaires ventant les mérites du Reglissol , mais aussi des affiches de pin up assises sur des pompes à carburant. Il y avait des gabarits en cartons imbibés d’huile, avec des profilés de carters dessinés dessus, dans lesquels étaient plantés des vis à des endroits bien précis.
Boulon n’avait jamais vu autant d’outils au même endroit et il ne connaissait pas l’utilité de la moitié d’entre eux malgré qu’il fut assez habile de ses mains et bon bricoleur.
Ils n’avaient pas eu à chercher l’interrupteur pour voir tout cela car la lumière était déjà allumée.




Les quatre hommes eurent tous le même pressentiment et un malaise s’installa. Quelqu’un vivait ici et il n’était pas loin !
Un bruit retentit sous leurs pieds, dans la fosse qu’ils n’avaient pas remarqué. Une voix caverneuse en remonta :
-La voilà enfin cette petite pute ! Je savais que je finirai pas te trouver sale garce ! Faut toujours que tu te barres petite salope, mais maintenant que je te tiens je vais pas te lâcher et tu vas rester bien sagement avec tes sœurs !
Les kompagnons sortirent leurs armes. Le type en dessous était surement un de ces tarés qui kidnappait des filles abandonnées pour en faire des make love et leur faire faire le tapin devant la station service abandonnée. Ici, les passages étaient nombreux et il y avait beaucoup de konvoyeurs.
Des types qui étaient célibataires géo depuis des mois et qui ne refusaient pas un peu de compagnie en échange d’un peu de marchandise. Boulon en avait croisé souvent et il était écœuré par ces proxos qui considéraient les femmes comme de la marchandise. Les make love des auberges ou autres roul’hot de la Trâce travaillaient pour elles et étaient indépendantes, mais celles du bord de Kroute étaient des esclaves et il fallait punir leurs exploitants !
Le maquereau de cette ancienne station essence devait se servir de la fosse pour garder les filles . L’une d’elle avait du réussir à s’échapper et il avait fini par la retrouver. La pauvre. Elle aurait passé un sale quart d’heure si nos quatre héros n’avaient pas décider de faire une halte ici.
La voix s’approchait, le type était en train de gravir les marches de la fosse :
-J’ai bien cru que je remettrai jamais la main sur toi ma petite garce ! et tu sais que tu es ma petite préférée en plus. Tu vas rester avec papa maintenant, ma jolie petite…
-Sale pervers !Lança Sir Jay en armant sa puissante hache, pour l’abattre en plein milieu du crane de l’homme qui était juste en dessous de lui
Gab’ bloqua le tranchant de la hache avec le fil de son épée, à quelques centimètres de la tête du vieillard sous le regard stupéfait de Boulon et Sir Christian.
Ils comprirent son geste lorsqu’ils virent le vieil homme dans la dernière marche, avec une douille de dix dans la main :
-Je te tiens et je te quitte plus ma petite trainée !



ILLUSTRATION ; MINO ART on Facebook

- Et vous n’êtes même pas casqués ! Vous devriez avoir honte ! Cette portion est sacrée et nul ne la franchit sans se couvrir le crane.
-Et tu vas faire quoi avec ton sifflet ?
-Vous êtes sur ma portion et c’est moi qui décide de qui passe ou ne passe pas.
Boulon intervint :
-Je me souviens avoir déjà emprunté une partie de cette portion sans que je ne sois importuné
-Car vous avez respecté les règles…Sans même le savoir peut être.
-Bien, écoutez chamane, que devons nous faire pour que vous pardonniez nos…péchés comme vous dites. Demanda Gabdalf.
-Je veux que celui qui a enfreint la loi me récite trois « Notre Père ». Dit il en montrant du doigt Sir Jay.
-Jamais de la vie ! Non mais il est barjot ce mec ! C’est que de la peinture qu’il y a au sol ! Et les casques ça m’irrite le crane.
-Mon frère, nous n’avons pas le choix. N’est-ce pas Gab ?
-En effet, si nous prenons un autre chemin, nous perdrons énormément de temps et je crains surtout que les coques dorsales de vos montures ne soient vides avant d’arriver à la prochaine cuve enterrée.
-Bon, ok ! Allons-y pour trois « Notre Père »…Mais je suis pas très pratiquant si vous voyez c’que j’veux dire et cette chanson j’la connais pas.
-C’est une prière ! Pas une chanson ! Bon, répétez après moi :
NOTRE PERE…
QUI VEILLE SUR L’ESSIEU…
DONNEZ NOUS NOTRE PLEIN QUOTIDIEN…
ET DELIVREZ-NOUS DES PANNES…

Le chamane finit par laisser partir les quatre kompagnons afin qu’ils se rendent chez l’Armanouch, l’homme qui connaissaient tous les métaux…Mais qui les confondaient…

Il était surprenant de voir à quel point la Kroute continuait d’empêcher la pousse de toute sorte de végétation en son endroit. Il y avait bien des tentatives d’éventration par des racines traçantes venant de certains arbres, ou des craquements dus aux nombreux séismes qui avaient secoués les terres du nomad’s land, mais elle continuait d’être là, imperturbable. Boulon avait tracé des milliers d’Espace Grips sur son dos bitumeux lorsqu’il était plus jeune et il avait entendu, comme tous Pilotes, de nombreuses légendes à son sujet. La plus tenace, qui d’ailleurs était devenue une vraie religion pour certains, était celle de Snake, le dieu serpent, qui, lors de son passage sur Terre, avait laissé cette emprunte, comme une croute lors du processus d’ecdysis. Boulon n’y croyait pas vraiment et il restait sur ce qu’on lui avait raconté sur une époque lointaine où les hommes avaient fabriqué cet étrange chemin pour favoriser les échanges et accélérer le convoi des commerçants.
Il avait pourtant croisé un Ekailleur qui l’avait presque convaincu. Ces hommes passaient leur vie sur la Kroute , à la recherche du dieu reptilien, prenant tous les chemins, faisant des prélèvements, des mesures, des croquis, à la recherche d’une preuve. Tous voulaient converger vers la Kroute fraiche comme ils la nommaient, celle qui était encore luisante et gluante, dans l’espoir de le trouver enfin au bout de l’asphalte.
Il était quasiment impossible de recroiser deux fois le même Ekailleur, à moins de le suivre bien sûr. C’était dans un village de Statiques que Boulon avait rencontré Bungarus. Il était instruit et savait lire comme ses frères Ekailleurs, et il était donc facile pour eux de trouver asile pour une noktaë, en échange d’histoires près du feu. Leurs sacoches étaient toujours remplies de livres et de contes, et beaucoup savaient jouer d’un instrument. Ils faisaient la joie des enfants et des vieillards qui allaient se coucher avec des étoiles pleins les optiques après son passage. Les hommes du village attendaient ce moment pour leur demander des nouvelles du monde. Ils avaient aussi appris à soigner et si certains pouvaient lire les notices des médicaments qu’ils ramenaient des delta products, et prescrivaient en fonction des pathologies, d’autres avaient préférés se servir de l’enseignement des livres médicinaux pour fabriquer des remèdes à l’aide de plantes, ce qui était le cas de Bungarus.
Ils étaient craints et respectés et il était rare qu’ils se fassent attaquer par des Embuskeurs. Ainsi, l’Ekailleur lui avait proposé qu’il le suive. C’est lui qui lui avait appris à repérer les cuves enterrés, mais aussi les nombreux dangers du nomad’s land. Ils disaient connaître Gabdalf mais lorsqu’il lui avait parlé de lui plus tard, le magicien n’avait aucun souvenir de lui. Ils avaient tracé une trentaine de macro sables ensemble et leur chemin s’était séparé. Il avait énormément apprécié les conversations avec lui et la sagesse qui s’en dégageait. Lui qui n’avait fréquenté que des voyous et des brigands jusque là. C’est même lui qui l’avait motivé à retourner dans son village pour retrouver de la plénitude dans son cœur et dans son âme. Il lui avait appris à contempler un arbre, à se satisfaire de la beauté des choses et à jouer de l’harmonica.
C’est cette dernière chose d’ailleurs qui avait fait que sa maison était la dernière du village, car, aux dires de ses concitoyens, il n’avait pas beaucoup de talent que Gabdalf. La différence c’est que lui en était conscient.
La fraicheur le fit sortir de ses songes. Le bruit des grips était plus feutré et ils avaient quitté la kroute, ils roulaient à présent dans les sous bois de Brocélios. Ils arrivèrent devant une porte massive où se trouvait une pancarte :
-L’Armanouch, lit Boulon
-Tiens donc mon ami, vous savez lire le mekanistik ?
-Un ami Ekailleur me l’a enseigné il y a longtemps
-. Vous m’avez bien eu en me faisant croire que vous ne saviez pas ce qui était inscrit sur votre ékrou. lui répondit Gabdalf. Décidément, il y a tout un pan de votre vie que je ne connais pas.

Les quatre hommes stoppèrent leurs machines et les  garèrent devant l’antre du forgeron. Lorsque leurs moteurs furent coupés, ils purent entendre le martèlement provenant de l’atelier du gaillard et ils comprirent qu’il ne servirait à rien de frapper à la porte.
Gabdalf, qui connaissait les lieux, entra le premier. Les habitations troglodytes étaient réputées pour être sobres et dénués de tous artifices mais l’homme qui vivait ici ne semblait pas avoir d’autre hobby que son métier. Le bruit venait du couloir sur la droite qui devait mener à une autre salle. Les Sirs qui d’habitude se montraient vaillants, eurent du mal à marcher dans les pas du magicien lorsqu’il emprunta le tunnel de roche solidement étayé. Le bruit grossissait au fur et à mesure, un bruit métallique à l’étrange sonorité cristalline.


ILLUSTRATION: SISTA HELL'NINK

Ils arrivèrent dans une vaste pièce à la toiture cathédrale, qui amplifiait le son du martèlement. Un puissant gaillard serrait une tenaille dans sa pogne droite, alors qu’il mettait des coups de masse avec l’autre. Il était rare de voir des forgerons gauchers se dit Boulon. A chaque puissant cou, la pièce prenait forme. Etrangement, il n’y avait aucun foyer dans cette pièce et ce métal ne semblait pas nécessiter de chauffe pour être façonné. Il avait un reflet étrange. Lorsque l’homme vit les quatre Kompagnons, il cessa son activité :


ILLUSTRATION: SISTA HELL'NINK
-Oh ! Comment qu’c’est mon cousin ?
-Je vous ai déjà dit, mon cher Armanouch, que je ne suis pas votre cousin. Dit Gab’
-Ok ! Ok ! Qu’est-ce qui te fait viendre ici ?
-Nous aurions besoin de votre savoir pour…Comment dirais-je , étudier un ékrou assez particulier
-En cuivre ?
-Non, pas en cuivre.
-Ah c’est con parc’que l’ cuivre il a grimpé mon cousin.
Les Sirs se regardèrent et se retinrent de rire devant cette discussion surréaliste
Le magicien s’adressa à Boulon :
-Mon ami, veuillez montrer votre…précieux à l’Armanouch
Sachet mit la main dans sa poche et en sortit l’ekrou, qu’il trouvait encore plus beau que d’habitude. Il le donna au forgeron :
-Oh, l’sang d’ses morts ! ça c’est de l’inosc !
-En effet, mais il a quelque chose de différent. Dans sa composition je pense. Je le sens.
L’Armanouch le mit dans sa bouche et essaya de croquer dedans.
Boulon se jeta sur lui :
-Rends moi ça, espèce de taré !
-Du calme, Boulon ! Dit Gabdalf en le saisissant par les épaules. Notre ami a certes une façon bien à lui de travailler mais c’est le meilleur ! Faites lui confiance.
L’Armanouch garda l’ékrou en bouche un long moment, et finit par le recracher dans sa main.
-Alors y a du chrome, du molybdène, du nickel, un peu d’carbone, mais y a un truc un plus, que j’connais pas l’gout . Un truc bizarre que j’a jamais gouté .
-Mais comment il fait pour savoir ça ? demanda Sir Jay.
-Ca vient d’mes ancêtres mon cousin ! Ma grand-mère, elle pouvait sucer du bronze et te dire combien qu’y avait du cuivre en dedans. Bon moi j’confonds un peu les métaux mais j’ai des dons, c’est comme ça ! Mon grand père, y pouvait souder l’zinc rien qu’en crachant d’ssus, pas besoin d’étain ni d’plomb ! Il avait quequ’chose dans sa salive de qu’y était espécial.
-L’Armanouch, d’où pourrait il provenir cet ékrou, reprit le magicien
-Faut que j’voye un truc. Venez avec moi.
Le forgeron réemprunta le tunnel pour se rendre dans la pièce principale, au niveau du foyer. Il attisa le feu et mit des coups de soufflet après avoir rajouté des blocks de ce qui ressemblait à du charbon. Il regarda Boulon :
-T’inquiètes pas pour ton ékrou, hein.
Et il le jeta dans les braises. Au bout de quelques minutes, ses inscriptions se mirent à rougeoyer.


ILLUSTRATION: SISTA HELL'NINK


L’Armanouch le saisit sans mettre de gants. Tous s’attendirent à ce qu’il hurle mais il n’en fut rien.
-Tiens l’ami, tu peux le récupérer. Dit il à Sachet en lui tendant
-Mais je vais me bruler
-Non ! Il est espécial ton machin.
Boulon le prit dans sa main. Il était froid.
Gabdalf avait l’air pensif :
-l’Armanouch, à quoi penses-tu ?
-J’ai rajouté trois blocks de coke venant de l’Ararat dans mon foyer, avant de le mettre dedans. Cet ékrou, il a pas chauffé, y a juste son inscription qu’est ressorti. Il y vient d’là bas, du mont sacré ! Le truc qu’y a en plus dedans, ça vient d’la lave.

Il devenait évident qu’il fallait faire disparaître cet ékrou. Le magicien savait que le monde était en danger tant qu’il ne serait pas détruit et que le temps pressait. Son ennemi de toujours, le Power Rustman , ne devait pas mettre sa main rouillée dessus !
Cependant, ils n’eurent pas le cœur de refuser l’hospitalité de l’Armanouch et s’attablèrent avec lui pour gouter la charcuterie qu’il faisait de façon très artisanale :
-ça mes cousins, c’est du soudjouk ! Et ça c’est du pasterma ! En leur apportant de la viande séchée et un saucisson.
L’Armanouch apporta également des légumes frais , accompagnés d’un vin sombre et puissant qu’il nomma Tushpa. Il leur expliqua qu’il était le sang des vignes poussant aux pieds du mont Ararat.
Les quatre hommes étaient du genre à boire abondamment, mais ils dégustèrent ce nectar avec mesure et respect, car ils savaient que le forgeron leur faisait un grand honneur en débouchant cette bouteille recouverte d’une épaisse poussière. La charcuterie était très salée et ils burent beaucoup d’eau avant de reprendre la Kroute. L’Armanouch les accompagna jusque dehors :
-Z’avez des sacrés chevals mes cousins !
-Des Shovels, tu veux dire, dit Gabdalf sur le ton de la plaisanterie.
-Faisez y gaffe à la route hein ! Y a des gribouilles en pagaille sur ces portions au loin. Après chez moi, y a plus de règles, y a que des sauvages et des Embuskeurs !
-Nous ferons attention. Merci pour ton hospitalité mon ami. A bientôt je l’espère. Dit le magicien en démarrant sa monture d’un tonique coup de jarret sur la pédale de kick.

ESPACE GRIP 2

La petite kommunauté frottait ses grips sur la kroute depuis trois cent Espace-Grips à présent, et il devenait urgent de donner à manger aux montures. Sir Jay lui fit part de son inquiétude :
-Cher Magicien, je ne sais pas pour la vôtre, mais nos machines vont avoir besoin de faire le plein de carburant.
-Vous avez bien des jerricans ?
-Nous les avons vidés lors de notre précédente halte.
-Hmm ! Je n’avais pas prévu cela. Je pensais que les coques dorsales de vos machines avaient plus de contenance. Ce n’est pas grave, nous allons bifurquer légèrement pour nous approcher d’un lieu de récolte de Rycine. Avec un peu de chance, nous tomberons sur des Préleveurs.
Aucun membre de la Kommunauté ne s’était jusque là posé la question de la récolte de Rycine, se contentant de s’approvisionner dans des cuves ou des stations service. Mais tous avaient entendu des légendes sur les Préleveurs, ces hommes mystiques qui parlaient aux arbres, savaient les reconnaitre et les soigner et qui étaient prêts à mourir pour eux.
Gabdalf devant eux, s’écarta de la langue d’asphalte pour prendre un chemin de terre qui mit les articulations de leurs machines à rude épreuve. Boulon n’avait pas pour habitude de faire du tout terrain. Il avait essayé une fois une Bondisseuse, ces bécanes hautes sur leurs grips, conçues exprès pour le trial, mais il n’avait pas du tout aimé l’expérience. La Bondisseuse était beaucoup trop sauvage à son goût, se cabrant à chaque accélération, elle avait fini par l’éjecter de sa selle. Il s’était juré de ne plus jamais reposer son séant sur un tel engin de mort.

Au travers la poussière, ils aperçurent deux énormes arbres au pied duquel se trouvait un véhicule.
Gab’ leur fit signe de stopper leurs bécanes.






- Attendez-moi ici. Les Préleveurs sont de nature méfiante. Je vais aller leur parler. Je vous ferai signe de venir si ils acceptent de troquer avec nous.
Au bout de quelques minutes, le magicien leur fit signe de venir :
-Bon, voici le deal, Kero et Zen que voici, acceptent de nous échanger 12 gallons de Rycine contre une blague de Tabakannabis.
-12 gallons c’est que dalle , on pourra même pas faire le plein de nos machines.
-C’est du Rycine pur ! Vos machines peuvent faire 600 Espace Grips avec 3 gallons dit Kero, l’un des Préleveurs. Dit-il avant de se mettre à pleurer
-Oh là ! Mais pourquoi vous pleurez ? Lança Sir Christian
-Votre frère vient d’écraser un lombric !
-Et alors ? Dit Sir Jay
-Vous venez de tuer une créature de GranMaTerre.
-Ouahaha ! Et l’autre, hé ! Mais tu vas pas chialer à chaque fois qu’on tue une mouche !
-Pourquoi ? Vous tuez les mouches aussi ? Bouhouhou ! Dirent Kero et Zen de concert avant de partir en sanglots.
-Oui, je ne vous ai pas dit, mais les Préleveurs sont très proche de la nature, ils sont vegans et ne tolèrent pas que l’on maltraite la faune et la flore. Faites attention où vous marchez. Leur dit Gabdalf.
Boulon Sachet s’avança vers Kero et Zen :
-Tenez, voici ma blague. Ok pour le deal.
-Merci voyageur. Dit l’un d’eux en séchant ses larmes. Acceptez de manger avec nous pour sceller ce troc. Nous venons de finir la récolte et nous nous apprêtions à prendre le repas.
-ça tombe bien, j’ai une faim de loup !
Les Préleveurs mirent une nappe sur le sol que nos kompagnons s’empressèrent de souiller avec leurs gros godillots. Gab les rappela à l’ordre :
-Par les boites à lait de la Sainte Pignonisse ! Faites attention où vous mettez les pieds, bordel ! Vous marchez sur la nappe. Ces gens sont très délicats, je vous demande de faire un peu gaffe. Ne vous comportez pas comme des rustres !
-Hey, Gab’ ? Dit Sir Jay .
-Oui ?
-Y s’rait pas un peu de la jaquette les deux Préleveurs ?
-En effet. Répondit Le magicien en souriant, alors que Kero et Zen préparait le repas à l’avant de leur véhicule. Ce qui intrigua Boulon qui se déplaça pour aller les voir. Sous le capot relevé, où aurait du se trouver le moteur de l’engin, il y avait une sorte d’alambic équipé d’un volant et d’un balancier. De la fumée se dégageait de dessous un fut en métal. Kero répondit aux questionnements du membre de la Kommunauté
-C’est un moteur à vapeur. Nous nous en servons aussi pour faire nos mixtures et nos alcools. Nous mangeons ce que nous offre GranMaTerre, et aujourd’hui, vous avez de la chance, elle a été généreuse avec nous ! Goutez moi ça cher ami. Dit-il en tendant une cuillère de bois fumante à Boulon. S’il n’avait écouté les conseils du magicien, il aurait aussitôt recraché ce qu’il venait d’ingurgiter. Il avait l’impression d’avoir de la terre dans la bouche.
-Ce ragout de boue est délicieux n’est-ce pas ?
Il fit un signe de la tête et rejoignit ses acolytes.
-Il faut se barrer immédiatement ! Ils vont nous empoisonner ces cons !
-Nous ne pouvons pas Boulon ! Cela ne se fait pas.
-Mais…
-Taisez-vous, ils arrivent.
Kero apporta la marmite et Zen tenait un plat remplit de galettes et un énorme plat remplie de fruits et de légumes. Sir Jay et Christian finirent de disposer les assiettes creuses et les couverts. Boulon se dit qu’il pourrait au moins se caler la pense avec les énormes galettes qui avaient l’air appétissantes.
Il s s’assirent autour de la nappe, et Boulon allait se servir lorsque le magicien lui tapa sur la main :
-Je pense que nos amis veulent dire le bénédicité avant que nous mangions.
-En effet, Magicien :

« Sainte Greta, bénissez ce repas et ceux qui l’ont préparé, ainsi que tous les animaux et les arbres de ce monde. Amen »

La fin de la prière lança le top départ, et nos amis se jetèrent sur les plats. Boulon n’essaya même pas de se servir du ragout, préférant se concentrer sur les fruits et les galettes.
Il croqua à pleines dents dans l’une d’entre elle.
-Je vois que notre ami avait hâte de goûter à nos galettes de bouses.
Sachet sentit monter le goût de crotte séchée dans son palais et failli vomir. Sir Jay et Christian qui avaient jeté leur dévolu sur deux pommes furent écœuré  par le goût des vers qui y avaient élu domicile. Seul les Préleveurs et Gabdalf semblèrent apprécier le repas.